Coordonné par le comité pour la Transalpine Lyon-Turin, un document signé par près de 80 politiciens français, parlementaires ou présidents d’exécutifs (de régions, départements et agglomérations) a été remis le 21 mai dernier à Emmanuel Macron. Il en appelle à un « arbitrage pour que la future loi d’orientation des mobilités réaffirme clairement la volonté de l’Etat de coordonner les calendriers du tunnel international et de ses accès français ». L’une des récentes inquiétudes est née en partie du positionnement du rapport du conseil d‘orientation des infrastructures, remis par Philippe Duron en février dernier, ne jugeant pas prioritaire le projet du Lyon-Turin. En effet, il y est proposé un report au-delà de 2038 des travaux d’aménagement des accès français au tunnel de base. Une décision qui impliquerait qu’aucune voie nouvelle ne soit livrée avant 2045/2050, soit plus de quinze ans après la mise en service du tunnel de base prévue pour 2030.
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« De mon point de vue, le problème de la réalisation du Lyon-Turin est surtout celui de la volonté politique, affirme Jacques Gounon, PDG du groupe Getlink (Eurotunnel) qui préside parallèlement le comité pour la Transalpine Lyon-Turin. Parmi les différents tunnels prévus à la suite notamment de la convention alpine de 1991 1, en Suisse celui du Lötschberg (36 km) a été inauguré en 2007 tandis que plus récemment celui du Gothard, frère jumeau du Lyon-Turin (57 km) a été livré fin 2016. L’Autriche a par ailleurs engagé la réalisation du tunnel du Brenner pour relier l’Italie, d’une longueur également équivalente qui sera mis en service en 2025. Stéphane Guggino, délégué général du comité pour la Transalpine ajoute : « La France ne peut pas rester plus longtemps à l’écart de ces flux stratégiques captés par nos voisins, d’autant plus lorsqu’on comprend que le Lyon-Turin se distinguera comme le seul axe européen capable de capter les trafics Ouest-Est et Nord-Sud. »
Un retard sur le fret
Actuellement, entre l’Italie et la France, 92% des échanges de marchandises se font par la route contre 8% par le rail. A titre de comparaison, entre la Suisse et l’Italie, 70% des échanges sont réalisés par le rail. Si le fret ferroviaire est un axe de développement fortement considéré par le gouvernement, comme l’a notamment rappelé Elisabeth Borne en avril dernier lors d’une visite officielle au port de Bonneuil-sur-Marne (94), aucun engagement concret n’a encore été pris. Il ne figure pas, par exemple, dans le nouveau pacte ferroviaire récemment adopté. D’ailleurs, en France, selon l’Arafer 2, le transport de marchandises est largement dominé par le mode routier (85% en 2014 contre 9,3% du trafic de fret pour le transport ferroviaire à la même période). Près de 3 millions de poids lourds traversent la France et l’Italie chaque année par les Alpes du nord et la côte méditerranéenne (trafic également capable par le Lyon-Turin) et leur nombre ne cesse d’augmenter. Sur l’année 2017, 80 000 de plus ont été comptabilisés, soit 220 véhicules supplémentaires par jour en moyenne. « Le Lyon-Turin est la seule alternative moderne et crédible pour opérer un basculement massif du transport de marchandises de la route vers le rail. On estime que dès la mise en service du tunnel, 80% du trafic sera du fret », précise Jacques Gounon.
Un coût divisé par deux
Souvent remis sur la table, le coût du Lyon-Turin a été à plusieurs reprises un sujet de discorde. L’estimation globale de 26 milliards d’euros, avancée par la cour des Comptes en 2012, est contestée par tous les acteurs du projet. En effet, on lui reproche d’intégrer les coûts liés à la réalisation du contournement ferroviaire lyonnais (dossier distinct) ou encore les dépenses concernant les phases 3 et 4 des voies d’accès françaises envisagées sur le long terme et n’ayant pas encore fait l’objet d’enquête publique. « En réalité, le coût global est estimé à 18,3 milliards d’€ dont 8,4 milliards financés par la France », déclare Stéphane Guggino. « Depuis le démarrage du projet, du côté italien, le montant des voies d’accès a été divisé par deux. Une réduction qui apparait également envisageable du côté français en procédant à un phasage plus sobre du projet sur l’itinéraire initial. » En d’autres termes, si les acteurs locaux du projet s’accordent pour retenir dans un premier temps les infrastructures réellement indispensables à l’exploitation du tunnel transfrontalier lors de sa mise en service. Ainsi, les tunnels du Glandon et de Belledonne estimés tous les deux à 2 milliards d’€ pourraient être décalés pour plus tard tout comme ceux du côté de Chambéry.
Pour rappel, l’accord franco-italien décidant la réalisation du Lyon-Turin date de 2001 (accord devenu traité international en 2002). Ce projet de liaison ferroviaire doit comprendre un tunnel bitube de nouvelle génération (dit de base) de 57,5 km de long, entre Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et Suse (Piémont). 23 km de descenderies ont déjà été creusées. La galerie de reconnaissance de 9 km de Saint-Martin-la-Porte est, elle, en cours d’excavation. La présentation de la future loi sur les mobilités est attendue avant la fin de l’année. Elle devrait clarifier les positionnements de l’Etat quant au projet du Lyon-Turin.
1 La convention lie les huit pays de l’arc alpin : l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, le Lichtenstein, Monaco, la Slovénie et la Suisse).
2Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières