L’étude démontre que si les réglementations environnementales jouent un rôle indéniable dans l’écologisation du secteur, elles ne constituent pas le seul moteur de changement. Les directions des deux entreprises étudiées voient dans les normes et certifications (ISO, RSE, charte "Chantier vert") de véritables opportunités pour se démarquer de la concurrence, valoriser leurs savoir-faire spécifiques, structurer et rendre visible leur engagement environnemental et développer une stratégie ancrée dans leur territoire (recrutements de proximité, utilisation de ressources locales, plateformes de recyclage...) Les auteurs notent : « ce ne sont pas des organisations militantes, plutôt des entreprises dont les dirigeants sont volontaires et déterminés dans l’adoption d’une stratégie économique favorable à l’écologie."
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- Une transition écologique progressive et négociée, dans la coopérative Silva, portée depuis 2015 par un dirigeant et deux cadres. Cette transformation s’est traduite par le développement de marchés : ossature bois, désamiantage, maîtrise du béton de terre, et construction d’un bâtiment biosourcé exemplaire ("le premier chantier de ce type en région et le troisième au niveau national").
- Le statut coopératif implique une démarche d’acculturation des coopérateurs qui demande de la "pédagogie" et une adaptation aux différents pôles de l’entreprise.
- Une écologisation hiérarchisée et rationalisée, dans la PME Nicéco, impulsée par un dirigeant fortement investi dans les groupes de travail et le réseautage professionnel.
- L’entreprise a développé des équipements favorables au développement durable (recycleuse de béton, presseuse de boue, plateforme d’entreposage pour le recyclage) et remporte des chantiers écologiques, notamment dans le Parc Naturel National avec des cahiers des charges particulièrement exigeants.
La gestion des déchets transforme les process
Chez Silva, le tri des déchets est effectué avec attention sur des chantiers qui se veulent exemplaires, mais reste plus variable chez les particuliers. La coopérative envisage d’organiser le réemploi interne de matériaux issus de certains chantiers pour d’autres projets, et a recruté une stagiaire ingénieure pour détailler les gestes professionnels et la rentabilité économique liés au démontage d’ardoises et à leur réemploi.
Chez Nicéco, l’économie circulaire est plus avancée, du fait d’une volonté dont témoigne le dirigeant. Le recyclage implique de nouvelles tâches et savoir-faire : mise à l’écart des matériaux sur le chantier, tri, criblage, transport vers la plateforme de recyclage. Ces transformations sont accompagnées par un réseau social numérique interne qui valorise les "bonnes pratiques", mais qui a aussi été détourné par les ouvriers pour signaler les "mauvaises pratiques".
La recherche souligne que derrière des mesures présentées comme bénéfiques et évidentes à appliquer se cachent souvent "un surcroît de tâches et une pénibilité du travail peu visibilisés et peu discutés collectivement". L’étude conclut que les transformations induites par l’écologisation sont plus marquées en termes d’organisation du travail que de compétences nouvelles. La question des conditions de travail reste peu articulée au positionnement écologique de l’entreprise, même dans la SCOP Silva qui a pourtant engagé une démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail avec l’Anact. Les chercheurs suggèrent l’introduction de dispositifs de dialogue prenant en charge les controverses professionnelles sur ce que l’écologisation fait aux conditions et à l’organisation du travail, s’inspirant notamment des enseignements d’une enquête antérieure de l’Aract Hauts-de-France.