Neustark ne se contente pas de compenser les émissions de CO₂, elle les stocke durablement dans les matériaux de construction. Le principe est simple : capter du CO₂ issu de sources biogéniques (notamment les installations de biogaz), le liquéfier sur place, puis le transporter vers des centres de recyclage de matériaux minéraux (principalement des bétons de démolition). Une fois sur site, le CO₂ est injecté directement dans les granulats traités. Cette injection déclenche un processus de minéralisation accélérée : le dioxyde de carbone réagit avec les hydrates de chaux résiduels présents dans les granulats cimentaires, formant du carbonate de calcium (CaCO₃). La réaction chimique est connue : Ca(OH)₂ + CO₂ → CaCO₃ + H₂O. Le CO₂ est ainsi transformé en calcaire et se lie à la surface des granulats, où il est piégé de manière permanente. « Contrairement à d’autres méthodes de séquestration, ici, pas besoin de stockage géologique profond ni d’infrastructures colossales : le béton devient le réservoir », précise Elmar Vatter, Chef de projet chez Neustark, « et ce stockage est qualifié de permanent pour des centaines de milliers d’années. Seules des températures extrêmes (supérieures à 600 °C) ou des acides puissants pourraient inverser le processus (un scénario improbable dans les conditions d’utilisation normale) ».
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Le procédé de Neustark ne se contente pas d’être prometteur sur le papier. Il a été analysé rigoureusement selon une analyse de cycle de vie (ACV), documentée dans la revue scientifique Frontiers et validée par des instituts de référence comme l’EMPA (Laboratoire fédéral suisse d’essai des matériaux et de recherche). Les résultats sont parlants : chaque tonne de béton de démolition traitée permet de stocker en moyenne 10 kg de CO₂. Ce chiffre monte à 20 à 50 kg pour les mâchefers ou cendres riches en calcium. Sur un chantier intégrant plusieurs milliers de tonnes de granulats recyclés, l’impact peut rapidement atteindre plusieurs dizaines de tonnes de CO₂ immobilisé. Le gain en empreinte carbone par m³ de béton dépend évidemment de la formulation. Mais dans les essais menés avec l’EMPA, les performances environnementales sont au rendez-vous. Et ce, sans compromis technique, les granulats traités respectant les normes européennes (notamment DIN EN 12620) et suisses.
Béton de démolition : la matière première du futur ?
« Nous misons sur un gisement encore trop peu valorisé : le béton de démolition », explique Valentin Gutknecht, co-fondateur de Neustak, « le procédé est compatible avec n’importe quel béton déconstruit, à condition qu’il ait été débarrassé de ses composants indésirables (métaux, plastiques, bois, etc.). Le traitement se fait à température ambiante, sans besoin d’apport calorifique important, ce qui limite la consommation énergétique. Seule contrainte : en dessous de 0°C, l’évaporateur atmosphérique cesse de fonctionner correctement, mais cela coïncide avec l’arrêt saisonnier des chantiers en Europe centrale ». Autre point fort : le potentiel est loin d’être saturé. D’après les équipes R&D de Neustark, le potentiel théorique de carbonatation du béton de démolition est estimé à 50 kg de CO₂ par tonne. Aujourd’hui, seuls 10 kg sont captés. Autrement dit, la technologie actuelle ne fait qu’exploiter 20 % de la capacité théorique, laissant entrevoir des marges d’optimisation majeures dans les années à venir.
Industrialisation en marche : déjà 28 sites opérationnels
Lancée en Suisse, la solution s’est rapidement internationalisée. À ce jour, Neustark dénombre 4 unités de captage de CO₂ (France, Suisse, Autriche, Allemagne), et 28 sites de stockage de granulats traités (Suisse, Liechtenstein, Autriche, Allemagne, Royaume-Uni). Environ 30 projets supplémentaires sont en cours de déploiement. L’entreprise fonctionne selon un modèle de partenariats industriels. Il est important également de mentionner que les recycleurs reçoivent une remise sur le certificat, ce qui rend l’analyse de rentabilisation intéressante pour eux. Sa technologie est installée directement chez les recycleurs de matériaux. Ces derniers achètent le CO₂ à Neustark, investissent dans l’équipement et paient un service de maintenance. L’entreprise tire aussi des revenus de la vente de certificats carbone à des sociétés désireuses de compenser une partie de leurs émissions. « Ces entreprises compensent avec nous leurs difficultés à réduire leurs émissions, mais elles essaient en premier lieu de réduire 90% par elles-mêmes », précise Elmar Vatter. Parmi les partenaires de Neustark, on retrouve des noms majeurs : Holcim, Lafarge, Aggregate Industries (partenaires de stockage), mais aussi des entreprises tournées vers le climat comme Microsoft (acheteurs de certificats). La technologie a déjà été intégrée à de nombreux projets de construction, qu’ils soient publics, industriels ou résidentiels.
Des freins structurels, mais un potentiel colossal
Si la technologie séduit, son adoption à grande échelle se heurte encore à plusieurs obstacles :
Interne : manque de capital, de personnel, et de connaissances marché, notamment dans les zones hors Europe. Externe : sensibilisation encore limitée du grand public (dont des maîtres d’ouvrage (publics et privés) qui demandent explicitement de tels matériaux), taux de recyclage faibles dans certains pays, absence de cadre réglementaire incitatif, lourdeurs administratives. Mais le cap est clair : Neustark vise l’Europe centrale dans un premier temps, avant de s’implanter aux États-Unis et, à terme, à l’échelle mondiale. « Le gisement est immense », précise Elmar Vatter, « selon nos estimations, le béton de démolition dans le monde pourrait absorber plusieurs millions de tonnes de CO₂ par an si la technologie était déployée à grande échelle. Et ce chiffre grimpe encore si l’on y ajoute les autres déchets minéraux comme les cendres volantes ou les mâchefers ».
Un produit technique… et un argument d’image
Pour les entreprises qui adoptent la solution, le retour est double. « D’abord, le projet doit être rentable : sans logique économique, aucun acteur du secteur ne s’y engage », souligne Valentin Gutknecht, « mais à performance égale, proposer un béton intégrant du carbone stocké devient un argument d’image puissant, un marqueur de différenciation sur un marché de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux. L’expérience montre que les pionniers ont souvent été motivés par une conviction environnementale forte. Désormais, l’intérêt grandit pour des raisons économiques et réglementaires. Et c’est probablement le plus sûr signe que la technologie entre dans une phase de maturité ».
Le béton comme puits de carbone
Neustark apporte une réponse concrète à une double problématique : la gestion des déchets de béton et la lutte contre le changement climatique. « En combinant technologies existantes, intelligence chimique et modèle économique structuré, nous démontrons que le béton peut (et doit) faire partie de la transition bas carbone. Loin des promesses abstraites, c’est une solution industrialisée, opérationnelle et mesurable. Un pas de plus vers une construction circulaire, intelligente... et enfin climatique », conclut Valentin Gutknecht. Du côté normatif, Neustark avance prudemment mais sûrement. Les granulats traités respectent les normes en vigueur en Europe et en Suisse. Des tests sont actuellement en cours avec le Cerema pour évaluer l’utilisation de ces granulats dans la construction de routes, un débouché potentiellement massif !
Neustark en bref
Créée en 2019 par Valentin Gutknecht et Johannes Tiefenthaler
Mise en service de la première unité de stockage en 2022
80 personnes ; 32 installations
4007 tonnes de CO2 éliminés depuis 2022
Objectifs à 2030 : des centaines de milliers de tonnes stockées
Objectifs à 2050 : des centaines de millions de tonnes stockées
Capacité de stockage de CO2 attendue à 2030 d’1 mégatonne (10 000 tonnes en 2025)
Stockage et élimination de milliers de tonnes cette année et de centaines de milliers de tonnes au cours de cette décennie.
Optimiser, élargir, accélérer
Les axes de R&D principaux chez Neustark sont :
Augmenter le taux de CO₂ absorbé par tonne de matériau, sans complexifier le procédé pour les partenaires.
Élargir les types de résidus traités : cendres volantes, mâchefers, sous-produits industriels riches en calcium.
Améliorer les performances sans sacrifier la rentabilité du procédé.
En toile de fond, l’ambition est claire : transformer les déchets minéraux en puits de carbone industriels, capables d’agir rapidement sur les émissions mondiales.