Jamais un chantier routier n’aura autant créé de remous. Déjà au moment des travaux préparatoires, les initiatives des opposants furent nombreuses. On se rappelle la grève de la faim du militant Thomas Brail, et les efforts de ses Ecureuils pour occuper les arbres figurant sur le tracé, afin d’empêcher leur déracinement. Depuis le 27 février dernier, les militants écologistes ont des raisons de se réjouir : le tribunal administratif de Toulouse a officiellement demandé l’arrêt pur et simple du chantier. A la manoeuvre, la rapporteuse publique Mona Rousseau qui avait déjà demandé par deux fois "l’annulation totale" de l’arrêté préfectoral qui avait autorisé le chantier en 2023. "Le tribunal observe que le territoire ne présente ni un décrochage démographique, (…) ni un décrochage économique", indique un communiqué mis en ligne jeudi. "L’A69 et l’élargissement de l’A680 n’ayant que des bénéfices de portée limitée, il n’y a pas de nécessité impérieuse à les réaliser, et les arguments présentés en faveur de ces projets ne justifient pas qu’il soit dérogé à l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages", ponctue cet écrit.
PUBLICITÉ
Le concessionnaire prend acte
Atosca, concessionnaire désigné de l’A69, a déclaré de son côté avoir pris "acte de l’impossibilité de poursuivre les travaux et de l’intention de l’Etat d’engager toutes les voies de recours permettant la reprise du projet dans les meilleurs délais possibles et dans le respect de la réglementation". L’entreprise, également constructeur du projet, a pourtant sécurisé "plus de 300 millions d’euros, soit 65 % du budget total du chantier". Si la décision de justice devait par la suite être confirmée, l’arrêt du chantier risque de coûter cher au vu de la nécessité de "stabiliser des ouvrages en cours de réalisation, protéger ceux déjà édifiés, surveiller des matériels entreposés ou encore installer des clôtures autour des bassins et fossés ouverts", énumère l’AFP. Il faudrait ajouter à la sécurisation du chantier, l’application des clauses de suspension du contrat, estimées à plusieurs millions d’euros.
"Comment accepter que les juges n’aient pas pris en compte la situation du chantier avec près de 300 millions d’euros de travaux déjà engagés, 45 % des terrassements réalisés, 70 % des ouvrages d’art construits et plus de 1 000 salariés du concessionnaire qui se retrouveront demain sans emploi", s’est élevé le député du Tarn Jean Terlier (Ensemble pour la République).
Une décision historique
"En ordonnant la suspension des travaux, le jugement crée une première, car jamais un chantier de cette taille n’avait été suspendu par la justice administrative, commente Jean-Marc Jancovici sur un réseau professionnel. D’aucuns pourraient penser que cette suspension arrive bien trop tard. Mais, en matière de construction, compte tenu des délais de l’appareil judiciaire, il est usuel que le jugement au fond arrive alors que les travaux sont déjà commencés (...) S’il est confirmé en appel, il aura surtout de la portée sur les futures décisions en matière d’infrastructures routières, et c’est bien comme cela qu’il faut le voir".
Les collectifs environnementaux parlent eux d’une "victoire historique". C’est le cas de Pour un réveil écologique, qui regroupe étudiants et jeunes diplômés mobilisés face aux crises écologiques. "Aucun projet d’autoroute de cette ampleur n’avait été arrêté pour raisons environnementales. Le changement est notable car ça ouvre la porte au futur : moins d’impunité pour les entreprises et leurs projets climaticides".
Fait intéressant, relayé par Jean-Marc Jancovici, "un présupposé inexact reste présent dans les évaluations : la construction de ces nouvelles voies routières ferait "gagner du temps". Or ce n’est pas ce qui s’observe : la nouvelle situation d’équilibre, après arrivée d’une capacité routière augmentée, n’est pas que la population habite toujours au même endroit, va travailler toujours au même endroit, et tout cela en passant moins de temps au volant". Comprenez : les usagers choisiront de "conserver un temps de trajet identique, pour parcourir une plus grande distance à une vitesse plus importante, et loger plus loin" de leur lieu de travail. "Dit autrement, ce genre d’infrastructure favorise l’étalement et l’artificialisation. On peut considérer que c’est bénéfique pour l’économie et les individus, mais c’est bien cela qui se passe, et pas un gain de temps à aménagement du territoire identique", rappelle le président du Shift Project.
La profession vent debout
Du côté des professionnels de la construction, la pilule ne passe pas. La FNTP s’est déjà fendue d’un communiqué évoquant "un non-sens démocratique, lorsque la Région Occitanie, le Conseil Départemental du Tarn, la Communauté d’Agglomération Castres-Mazamet et la Communauté de Communes du Sor et de l’Agout soutiennent unanimement le projet". Mais également "un non-sens économique, remettant en question les perspectives de développement, d’attractivité et de compétitivité de tout un territoire et de ses habitants".
Son président, Alain Grizaud, s’est à nouveau exprimé ce matin sur un réseau professionnel. "Scandalisé et en colère", il appelle à "légiférer pour sécuriser les grands projets qui structurent nos territoires". "Comment un projet dont l’utilité publique a été reconnue en 2018 et confirmée par le Conseil d’État peut-il être stoppé en 2025, alors que la majorité des travaux est déjà réalisée ? Comment peut-on balayer d’un revers de main le fait qu’un quart de l’investissement ait été consacré à préserver l’environnement ?", s’insurge-t-il.