“Remarquable” : c’est en ces termes que Philippe Mellinand, archéologue à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), qualifie la carrière de la Corderie dans le quartier Saint Victor à Marseille, non loin du mythique Vieux Port. Pendant trois mois, lui et son équipe de huit chercheurs ont mené les fouilles et révéler un site archéologique de première importance puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la plus vieille carrière de l’époque grecque jamais mise au jour dans l’hexagone. Un témoignage du passé qui vient retracer l’histoire de la ville de Marseille née au 7ème siècle avant JC. Mais aussi une trace remarquable de l’histoire des villes antiques. En bref, une découverte de tout premier ordre qui nous renseigne sur les méthodes de travail des premiers carriers.
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D’avril à juin 2017, l’Inrap a fouillé sur prescription de l’Etat une parcelle de 4.200 m2 boulevard de la Corderie à Marseille. Sur cette zone délimitée est apparue une ancienne carrière de 1.200 m2. Située dans le quartier Saint Victor, lequel quartier domine la rive sud du Vieux Port, la fouille s’est inscrite dans le projet de construction d’un immeuble de 109 logements par l’Adim Paca du groupe Vinci. Les fouilles ont mis au jour des vestiges qui témoignent de l’exploitation d’une carrière à partir du VIème siècle avant notre ère, lorsque Marseille se nommait encore Massalia.
Car Marseille est une ville unique en son genre : il s’agit de la seule ville de France à pouvoir revendiquer vingt six siècles d’histoire urbaine continue. Fondée par des marins grecs, elle occupe dès le sixième siècle avant J-C la rive nord du Vieux Port. Le stampien à grains fins, à savoir une pierre calcaire tertiaire, y est présent sur la rive sud autour de l’abbaye Saint-Victor et du bassin de Carénage. Un stampien très recherché par les grecs lorsqu’ils érigent Massalia. Sur le site actuel de la Corderie, en plein 7ème arrondissement de Marseille, l’exploitation de ce calcaire a laissé des traces sur une hauteur avoisinant les six mètres. Exploitée aux VIème et Vème siècle, elle est finalement abandonnée et comblée dans le premier quart du Vème siècle après des décennies d’extraction de pierres qui serviront à bâtir la cité.
Le sous sol comme miroir de l’histoire de Marseille
Dans un ouvrage extrêmement érudit intitulé “Quand les archéologues redécouvrent Marseille”, Philippe Mellinand et Marc Bouiron, confrère du collaborateur de l’Inrap, rappellent que c’est dans le sous sol de la ville qu’il faut aller chercher l’histoire de Marseille. “Vers -600 avant JC, des colons grecs originaires de Phocée en Asie Mineure arrivent dans la calanque du Lacydon et fondent la comptoir de Massalia, écrivent les deux auteurs. La ville s’est alors développée en gagnant sur les collines environnantes. Cette permanence topographique a causé la destruction quasi systématique des constructions successives, qu’elles soient antiques, médiévales ou modernes”.
Il faut dire que Philippe Mellinand connait l’histoire de la ville sur le bout des doigts. Depuis plus de deux décennies, il est de tous les projets de fouilles conduites dans la ville de Marseille. Rattaché au CNRS, il a participé aux fouilles du port, à celles de la nécropole grecque et romaine Sainte Barbe, et a dirigé de nombreux autres projets de fouilles sur le collège Vieux-Port, l’hôtel Dieu, etc. De la carrière de la Corderie, il en a retenu le souvenir d’un paysage “figé et intact”. “Contrairement à des sites de fouilles classiques, le sujet de l’étude a été ici le rocher lui même, commente t-il. Aucun vestige n’a été prélevé sur place, la totalité de la carrière demeurant visible ce qui donne à ce site ce caractère spectaculaire. Au delà du caractère remarquable du site et par delà le problème de conservation qui est dissocié de son intérêt scientifique, ces fouilles nous ont permis de retracer les techniques d’extraction de l’époque et nous fournissent une quantité considérable d’informations sociales, techniques et historiques sur la période gréco romaine”. Il faut dire que la carrière de la Corderie est la première du genre en France à avoir été dégagée et fouillée de manière aussi méthodique et à avoir révélé autant d’indices du passé. En effet, d’une façon générale, les carrières antiques fouillées au 19ème siècle dans la ville ont été détruites une fois les éventuels vestiges mis au jour. Le site de Corderie n’est pas unique mais il est le seul à ce jour auquel les archéologues ont pu avoir accès avec autant de facilité. Si l’utilisation du calcaire dit de “Saint Victor” est attestée dans les constructions de Massalia, il demeure que c’est la première fois que l’un de ses gisements est découvert. Un endroit exceptionnel donc qui va permettre de mieux comprendre le lien qu’il entretenait avec la ville, même si la taille de l’exploitation permet d’ores et déjà d’affirmer qu’il était loin de constituer l’ensemble de l’approvisionnement en blocs calcaires de la vieille Massalia. Un calcaire très tendre qui n’aurait pas été utilisé en élévation mais plutôt en fondations, notamment pour la construction des remparts de la ville de Marseille dont les premiers mis en œuvre remontent au VIème avant JC. La pierre de cette carrière serait donc celle qui aurait servi à bâtir l’actuelle cité phocéenne.
Un reflet du travail des carriers grecs
Mais pas seulement. En effet, selon les chercheurs, la production de la carrière était selon toute vraisemblance relativement diversifiée, les carriers grecs extrayant des blocs de grande taille mais aussi des éléments architecturaux circulaires de différents diamètres. Les archéologues ont découvert également les preuves d’une activité consacrée à la production de cuves et de couvercles de sarcophages. Exceptionnel, le site de fouilles a même permis de recréer les étapes de la chaine opératoire depuis le tracé de calepinage jusqu’à la taille de la cuve elle même. Témoin de ce travail de tailleur, une cuve achevée mais défectueuse a été abandonnée sur place et est encore visible en parfait état. Si la carrière est grecque, elle semble avoir perduré sur la période romaine au cours du IIème siècle avant notre ère. Les archéologues ont en effet identifié une reprise d’extraction récente : un graffiti sur une paroi rocheuse qui semblerait correspondre à un compte de carriers. “A la Corderie, la terre est tendre et a préservé tous les impacts des outils, précise Philippe Mellinand. Cela nous a permis d’avoir un contact presque physique avec l’histoire et les techniques de taille des premiers carriers, ce qui pour nous archéologues est une première”. Si la carrière est ancienne, elle montre cependant que les techniques d’extraction ont finalement peu évolué au cours des siècles et se retrouvent quasiment à l’identique à l’orée du XXème siècle de notre ère. Pic, escoude, coins et leviers sont les outils des carriers que l’on retrouve tant chez les grecs que chez les carriers de l’’époque moderne. L’inrap note également que le principe d’extraction est également resté le même pendant plus de deux millénaires, avec le dégagement périphérique du bloc au moyen de tranchées de havage puis l’insertion de coins à sa base pour le séparer de son substrat.
La sauvegarde du site en question
Aujourd’hui, si l’histoire refait surface, elle n’en questionne pas moins notre présent. Car la carrière de la Corderie est au cœur d’une querelle politique à la hauteur de son importance historique. En avril 2017, lorsque le permis de construire d’un immeuble de huit étages, de 109 logements et de trois parkings souterrains est attribué par Jean Claude Gaudin, le maire LR de la ville, les critiques pleuvent. Trop grand, trop élitiste, le projet est combattu notamment par Patrick Mennucci, ancien-député maire du secteur. La découverte peu de temps après lors du début des fouilles préventives d’une carrière enterrée d’importance historique capitale va alors venir mettre le feu aux poudres. Les riverains s’engagent pour la sauvegarde complète du site et se mobilisent pour annuler le projet immobilier. Un combat qui n’aura pas convaincu puisque le ministère de la culture par la voix de sa toute nouvelle patronne Françoise Nyssen a finalement décidé de ne classer au patrimoine historique qu’une parcelle de 650 m qui sera accessible en permanence au public grâce à une servitude. Une parcelle qui correspond à la partie la plus ancienne et représentative de la carrière, là où l’ensemble des enlèvements sont représentés, notamment les sarcophages. La résidence devrait donc voir le jour à côté d’un périmètre classé. Une solution en demi teinte qui est loin de ravir les opposants au projet : certains ont promis d’occuper le site jusqu’au retrait définitif du projet. Une nouvelle ZAD est donc peut être en préparation à Marseille pour protéger la mémoire des premiers carriers de la cité. Les opposants au projet s’apretaient mi-septembre à déposer un recours devant le tribunal administratif.