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Cementys « prend le pouls des infrastructures »

Alors que la digitalisation est en pleine accélération dans la construction, le marché du monitoring des infrastructures, fort de technologies éprouvées et désormais abordables, manque de structure. A la manœuvre, Cementys. Sur fonds de crise de Covid-19, la nouvelle société du groupe Socotec entend bien y remédier.
Du béton au métal, tous les ouvrages y passent

Ancien professeur à l’ENS de Cachan et agrégé de génie civil, Vincent Lamour est le président fondateur de la société Cementys. « C’est à la suite de catastrophes comme l’effondrement du terminal 2E à l’aéroport Roissy CDG que l’on a pris conscience de la nécessité de monitorer les structures. Aujourd’hui, on sait designer de splendides ouvrages, mais l’on ignore comment suivre leur vieillissement et leurs pathologies », constate le dirigeant. Active 2008, Cementys intervient alors principalement sur les structures en béton (barrages, ponts etc) . Depuis, ses interventions s’effectuent également sur les monuments historiques, les plateformes métalliques de forage, et les aérogares. Son approche, initialement très orientée gestion du patrimoine avec des clients historiques comme SNCF ou l’Andra, se veut « médicale » : il s’agit de « prendre le pouls des infrastructures ».
Le Grand Paris, un catalyseur

Cementys s’illustre depuis dans les métiers de la géotechnique, et plus précisément en matière de monitoring du sol (rocheux et alluvionnaire). « Sur le chantier du Grand Paris Express, nous avons mis en place plus de 10 000 capteurs à proximité des gares et tunnels, dans l’optique de surveiller les effets des travaux sur les structures et le niveau des nappes phréatiques », ajoute Vincent Lamour. Le méga projet a de bon qu’il a permis à Cementys de se rapprocher du monde des travaux publics, dont l’impact est étroitement surveillé au nom du confort des riverains, de l’environnement et de la santé des structures existantes à proximité. « Autrefois l’apanage des maîtres d’ouvrages, l’auscultation intègre dorénavant le scope des entreprises », explique le dirigeant. Le Grand Paris aura ainsi occasionné de nombreux marchés. Cementys tient actuellement sous surveillance quelque 10 000 bâtiments, 11 tunneliers et 10 km de voie ferrée. Des vibromètres et sondomètres sont par ailleurs chargés de contrôler l’acoustique et les vibrations sur les avoisinants.
Le nucléaire, une longue tradition française

L’Andra ou Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs est un client historique de Cementys. « Nous faisons dans la surveillance de très long terme, poursuit Vincent Lamour. Les déchets radioactifs nécessitent une phase d’observation pouvant se dérouler sur plusieurs siècles ». Les capteurs Cementys ont ainsi été noyés dans le béton du centre de stockage de l’Aube qui abrite des déchets de très faible activité. La surveillance s’y effectue sur une dizaine d’années. Dans le cadre de Cigéo, le projet français de centre de stockage profond de déchets radioactifs à ce jour en cours d’expérimentation, les capteurs participent à s’assurer de la réversabilité du système. Sur le site d’entreposage de La Hague, le béton du bâtiment EVLH est équipé de capteurs servant à mesurer les contraintes, auxquelles fait face le gradient thermique, liées à la chaleur que dégagent les déchets radioactifs. « Il faut savoir qu’en France, centrales nucléaires et barrages EDF sont sous surveillance, équipés de capteurs mécaniques déployés par l’entreprise Telemac, pionnière dans le développement de l’extensomètre à corde vibrante. Une technologie qui fait encore ses preuves aujourd’hui et que Cementys a intégré dans son process de fabrication », souligne Vincent Lamour.
Normaliser de façon collégiale

Si la digitalisation gagne du terrain dans la construction – le bâtiment est bien avancé avec un BIM normalisé bien intégré aux métiers – elle est encore limitée dans les infrastructures. « L’usage des outils numériques dans la gestion du patrimoine est récent, confirme Vincent Lamour. La maintenance, par le biais du monitoring, n’est en revanche pas encore opérationnelle. Cementys a tout le loisir de démontrer l’intérêt de pouvoir élaborer plusieurs scénarios de vieillissement, à commencer par l’impact sur les coûts de maintenance ». L’effet « pont de Gênes », qui fit prendre conscience des risques auxquels s’exposent les usagers, se fait sentir sur les métiers de l’auscultation. « Il reste que ce marché a besoin de se structurer, estime le dirigeant. Comment ? On l’ignore, car les normes n’ont pas été définies. C’est pourquoi Cementys veut être fer de lance en créant une association de professionnels dédiés à la promotion et l’élaboration d’une norme métier qui nous confère professionnalisme et lisibilité ».
Plusieurs acteurs ou rien !

Le marché du monitoring des ouvrages, en France, suit la tendance mondiale (20 % à 25 % de croissance par an), aidé en cela par l’existence de grands gestionnaires d’infrastructures (SNCF, armée etc) dont les plateformes de jumeaux numériques permettent d’être performants. « On peut considérer que la France est en retard en matière de monitoring, remarque Vincent Lamour. Nos ingénieurs étant très bons, le monitoring n’est pas considéré comme indispensable. Il est pourtant complémentaire aux calculs ». Un conservatisme qui ne mène pas pour autant la vie dure au monitoring dont le marché se divise entre plusieurs acteurs. « Certains se spécialisent dans la fabrication d’hardware - une compétence qui draine notamment les startups, d’autres, dans l’installation ou dans l’interprétation des données. Mais comme Cementys fournit à la fois les capteurs, l’intégration et la data, pour une meilleure compréhension du système, il n’y a pas véritablement de concurrence », commente le dirigeant. La société estime que c’est en démontrant les cas d’usage – maîtrise des risques, prolongation de la durée de vie, gestion de la maintenance – où le monitoring a toute sa place, que les maîtres d’ouvrages se convaincront du retour sur investissement.
Trois technologies connues

Les interventions de Cementys reposent sur trois technologies dont la fiabilité n’est plus à prouver. L’ioT, dont la démocratisation a permis la baisse du coût des capteurs, autorise les plus petits maîtres d’ouvrages à faire du monitoring. Par le biais du réseau sans fil LoRA, Cementys acquiert une data à faible coût. L’auscultation satellitaire, quant à elle, permet de suivre les mouvements en surface, de la plus petite infrastructure (trottoir) à la plus grande (barrage). Dans le cadre de litiges judiciaires, ou de la gestion de patrimoine, elle permet d’acquérir d’anciennes images archivées. « Cette technologie, très usitée par les vulcanologues, a été déployée à grande échelle en Ile-de-France pour détecter les tassements. Cementys a ainsi été missionné pour garder le pont de Sèvres sous surveillance », précise Vincent Lamour. Enfin, la fibre optique, démocratisée par le développement des télécoms, est un allié de taille pour Cementys. Dans le cadre de la réalisation des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express, elle sera déployée afin de mesurer la température, la déformation, les vibrations et les fuites dans les galeries, et d’optimiser la maintenance.
L’avantage technologique à l’export

Fort d’une équipe constituée à 80 % de professionnels d’origine étrangère, avec des ancrages déjà présents au Vietnam, aux USA, au Maroc et en Mauritanie, Cementys compte sur son avantage technologique et son partenariat avec Socotec, présent dans 23 pays, pour conquérir de nouveaux marchés à l’export. « En nous appuyant sur ce vaste réseau, nous intégrons à très court terme les marchés italien, allemand, britannique et américain, révèle Vincent Lamour. En parallèle, nous poursuivrons notre avancée en Afrique, terre de barrages et d’infrastructures pétrolières, en Asie, riche en ponts et tunnels comme à Hanoï et Manille, mais aussi au Moyen-Orient, qui connaît un boom dans le secteur des infrastructures de transport de voyageurs, de pétrole et de gaz ». Avec une croissance de 50 % par an depuis sa création, Cementys se donne ainsi les moyens de ses ambitions. L’entreprise s’assure avec Socotec d’un contact facilité avec les maîtres d’ouvrages tout en conservant son indépendance dans le monitoring.
Crédits photos : Cementys

Julia Tortorici - 16/11/2020
Textes, photos et vidéos : tous crédits Groupe Cayola (sauf mentions contraires)