Mat Environnement : En quoi consiste votre nouveau rôle de vice-président d’EuRIC ?
Olivier François : Il nous faut partir de deux constats importants. Premièrement, en trente ans la profession du recyclage a basculé presque complètement d’une activité commerciale pure et libre comme l’air, à un pilotage étroit (et tatillon) par la réglementation. Deuxièmement, sur la même période de temps on constate que 90 % de la réglementation environnementale française vient de Bruxelles. EuRIC, notre confédération européenne des industries du recyclage, joue donc un rôle majeur pour notre survie et pour notre avenir. Comme dans toute fédération professionnelle, il s’agit de représenter la profession du recyclage auprès des autorités, ici principalement la Commission européenne. Cela semble une évidence, mais cette représentation n’est pas toujours faite avec bonheur à Bruxelles qui rassemble des milliers de « lobbyistes » et qui sont pour la plupart des professionnels du droit ou des relations publiques.
Ce qu’EuRIC et son secrétaire général, Emmanuel Katrakis, a brillamment introduit dans notre secteur d’activité, est de systématiquement aller rencontrer les membres de la Commission avec deux personnes : un permanent d’EuRIC accompagné d’un industriel du recyclage. Cette approche est littéralement plébiscitée par la Commission qui peut ainsi avoir des réponses techniques précises et étayées par l’expérience du professionnel qu’elle a en face d’elle. Cela semble peu de choses, mais en six ans d’existence, EuRIC a explosé tous les critères de représentativité à Bruxelles. Mon rôle est donc tout naturellement, et autant que possible, d’accompagner Emmanuel Katrakis dans cet exercice, et je ne suis pas le seul à le faire, bien sûr : les membres du « board » et plusieurs experts d’EuRIC, chacun dans leur domaine industriel respectif, constituent le « vivier » expérimental qui répond aux attentes de la commission.
J’ajouterai enfin que mon rôle plus institutionnel et interne à la profession sera de faire vivre le lien entre notre confédération européenne EuRIC, et notre fédération française Federec, afin de s’assurer de la cohérence des choix stratégiques entre les deux entités.
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EuRIC a publié en janvier une note définissant les cinq priorités essentielles de notre profession du recyclage. En ce qui me concerne, les deux premières seront au cœur de mes travaux : l’incorporation de matières recyclées dans les objets neufs et la mise en place d’un statut nouveau pour la matière recyclée, à savoir ni déchet, ni produit.
L’incorporation de matières recyclées est absolument capitale. La nature fluctuante et cyclique des prix des matières premières minières, ou extractives en général, rend la vente des matières premières recyclées (MPR) aléatoire, voire impossible dans certains cas, comme, par exemple, avec les plastiques recyclés qui ne peuvent entrer en compétition avec leurs alternatives pétrolières quand le prix de la ressource s’effondre, comme c’est le cas aujourd’hui. Soyons clair, après deux ans d’atermoiements, aussi bien au niveau européen que français, sur des engagements « volontaires » d’incorporation qui n’ont rien donné, il est grand temps de passer à des obligations réglementaires, seul moyen de créer et de stabiliser la consommation de MPR. La directive SUP de 2019 sur les bouteilles de PET a clairement ouvert la voie à ces obligations, il faut absolument étendre et prolonger cette dynamique à d’autres secteurs manufacturiers.
Concernant la création d’un statut de MPR qui ne relève ni de la réglementation « déchet », ni de la réglementation « produit », l’initiative de la Commission européenne dans sa directive cadre déchets de 2008 d’ouvrir une « sortie de statut de déchets » (SSD) a fait long feu. Après quelques succès rapides sur les métaux et le verre, les forces d’opposition à cette initiative ont pris une telle ampleur qu’elles ont fini par étouffer et bloquer la dynamique initiale. Les plastiques et les papiers-cartons n’ont ainsi pas pu obtenir cette SSD, et l’initiative européenne ayant faiblie, il n’y a pas eu de relais international. Or, c’est bien au niveau mondial que ce joue l’enjeu d’un statut spécifique aux MPR. On l’a vu encore récemment avec les exportations de conteneurs de plastiques recyclés en Malaisie. Tout le monde se fait peur avec le statut de « déchet » : les douanes, les administrations, les politiques… La diabolisation du « déchet » entraine une insécurité juridique très forte sur les matières premières recyclées : ce n’est pas nouveau, mais cela semble s’amplifier. Il est donc absolument prioritaire de proposer une alternative réglementaire qui sécurise les expéditions et la circulation internationale des MPR.
Mon idée sur ce sujet est de s’inspirer de la validation des comptes de nos entreprises par un commissaire aux comptes, tiers indépendant et responsable sur ses deniers propres des conclusions de son audit, et de le transposer à nos expéditions qui seraient validées par un tiers auditeur depuis le chargement, jusqu’à la livraison, un peu sur le modèle de ce que les Chinois ont mis en place depuis des années avec le AQSIQ. Nous avons besoin d’une expertise « tierce ». Les douanes sont incapables d’assurer ce rôle, il nous faut donc faire appel à une garantie extérieure, qui rassurera tout le monde. Bien sûr, cela a un coût, mais il faut savoir ce que l’on veut.
Notre espoir est qu’EuRIC puisse saisir la Commission de cette proposition d’un statut spécifique aux MPR, et qu’elle entraine l’adhésion des pays de l’OCDE, voire de l’ONU, pour généraliser la rationalisation de ce volet du commerce international, au même titre que la convention de Bâle a su réglementer les transferts internationaux de déchets dangereux en son temps.
En tant qu’expert qualifié pour les filières du recyclage des métaux, mais aussi des plastiques issus des DEEE et VHU, pouvez-vous nous dire quels sont les enjeux et problématiques actuels rencontrés par ces filières ? Quels impacts ont les réglementations chimiques sur le recyclage ?
La poursuite de l’illusion du « zéro-risque » nous entraine dans une situation de blocage. Pas seulement de blocage du recyclage, mais plus généralement de toute activité, en laissant la peur aveugler la raison. Aujourd’hui, certaines ONG tiennent un discours irresponsable sur leur volonté d’atteindre une société « non-toxique » sans aucune réflexion sur l’équilibre « couts-bénéfices » des substances utilisées dans les matériaux qui nous entourent. On passerait ainsi d’un extrême à l’autre, d’une période qui a connu les scandales de l’amiante ou du Pyralène, à une ère nouvelle dans laquelle toute dangerosité aurait disparue, au prix de faire disparaitre à peu près tout ce que l’humanité a créé.
La solution est évidemment quelque part entre ces deux extrêmes : la position d’EuRIC sur ce sujet a été établie et affirmée avec force. C’est le « scénario d’exposition » qui compte. Une pièce en plastique recyclée dans une automobile qui contient pour différentes raisons des traces d’une substance dangereuse, ne présente aucun risque pour l’utilisateur qui n’est tout simplement pas en contact avec cette pièce. C’est ce que nous traduisons en « langage » de Bruxelles par ce moto : l’approche « risque » doit être prioritaire sur l’approche « danger ». Autrement dit, le « danger » est potentiel, mais la substance qui le porte n’est pas « mobilisable », elle est fixée dans une matrice de matière, par exemple un polymère, et elle n’est pas « disponible » pour un transfert vers un utilisateur.
Compte tenu de la chute vertigineuse des connaissances scientifiques et techniques des nouvelles générations et de l’exercice croissant de la politique dans le champ de « l’émotion », nous devons reconnaitre que nous avons devant nous un énorme travail pour faire comprendre et adopter ce principe fondamental.
Qu’en est-il de votre initiative, lancée avec Jean-Philippe Carpentier en 2017, visant à incorporer des matières recyclées dans les objets neufs pour réduire les émissions de CO2 ?
Notre proposition de créer un certificat d’incorporation matière (CIM), à l’image du CEE, certificat d’économie d’énergie, n’a pas été retenu par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Le point a été discuté au Sénat et à l’Assemblée nationale lors de la discussion sur le projet de loi économie circulaire, mais le ministère a considéré qu’il devait être examiné au niveau européen. Ce qui rejoint ce qui a été dit plus haut, EuRIC doit pousser la Commission à accélérer les décisions d’incorporation obligatoire de MPR. La réduction des émissions de CO2 étant évidemment un des plus forts arguments que nous mettons en avant, et je peux témoigner qu’il reçoit tout particulièrement une écoute attentive.
En complément, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre rôle de directeur du développement en charge des nouvelles activités et affaires environnementales au sein du groupe Galloo ?
Notre activité industrielle du recyclage est dorénavant pilotée par la réglementation. Mon rôle consiste donc à suivre au plus près la réglementation pour anticiper les nouvelles activités du groupe Galloo. Le cas de la séparation des plastiques bromés des non-bromés (retardateurs de flammes bromés dans les plastiques de D3E) est de ce point de vue une bonne illustration. Notre anticipation a permis au groupe Galloo de devenir leader sur ce sujet.
Quels sont les impacts de la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus sur les différentes filières de recyclage ? Quels sont les scénarios de sortie pour le groupe Galloo ?
Je parlerai pour les filières que je connais bien : métaux et plastiques issus des VHU et D3E. Pour les métaux, les approvisionnements ont chuté très vite à partir du 17 mars. En quinze jours, nous étions à environ 20 % des entrées habituelles, mais notre activité s’est maintenue jusqu’au 10 avril afin de traiter les stocks présents au moment du confinement, l’idée étant surtout de dépolluer et de broyer tout ce qui était susceptible de départ de feu : VHU, D3E, ou platinage en général. Depuis le 14 avril, nos sites principaux sont à un niveau d’activité très faible avec quelques chauffeurs affectés à des enlèvements chez des clients encore actifs.
Pour les plastiques de D3E et de VHU, et notre filiale Galloo Plastics, comme notre débouché est à 60 % l’industrie automobile, et que celle-ci s’est arrêtée immédiatement le 17 mars, nous avons dû nous arrêter aussi immédiatement. Aujourd’hui, avec le redémarrage de la Chine, nous pouvons expédier nos granulés compoundés vers cette destination, et nous avons donc remis partiellement en route la société.
Pour la « sortie », nous serons très probablement décalés de la même manière. Le redémarrage de l’industrie, qui est notre principale source de matière « entrante » va être progressif, et donc nos outils de production, cisailles, broyeurs, tri post-broyage, ne seront mobilisés que progressivement à partir d’un certain seuil de matières que nous aurons su accumuler sur nos sites. Par exemple, nous entendons parler du redémarrage de Toyota Valenciennes pour le 21 avril. Si cela est le cas du secteur UIMM en général, il faudra sans doute prévoir un décalage de 15 jours minimum pour reprendre une activité sensible chez nous, nous sommes clairement le secteur le plus en aval de l’industrie.