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ENVIRONNEMENT

Economie circulaire : quand les sédiments s’y collent

PUBLIÉ LE 14 OCTOBRE 2019
JULIA TORTORICI
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Economie circulaire : quand les sédiments s’y collent
Autrefois matière première, avant de basculer dans la catégorie déchet, les sédiments veulent retrouver leur statut de ressource. Ces dépôts de matières s’accumulant dans les ports et les voies navigables causent bien des difficultés aux gestionnaires maritimes et fluviaux. Alors que les coûts d’enfouissement augmentent de façon exponentielle, ces matières lourdes, difficiles à transporter, peuvent espérer une voie de sortie. Des initiatives émergent, notamment dans les domaines des éco-matériaux et du génie civil.

Principaux générateurs de sédiments, les ports maritimes et fluviaux sont les grands concernés par une gestion plus durable. Et la perspective d’un démarrage prochain des travaux du Canal Seine-Nord Europe (qui vient de trouver un financement) laisse pensif. Avec pas moins de 107 km à creuser, la question des sédiments se fait soudain plus pressante. VNF*, qui gère un réseau de 6 700 km, retire de ses voies navigables 600 000 m3 de sédiments chaque année. « Sur 10 ans, cela représente un total de un million de m3. La seule région Hauts-de-France concentre entre 120 000 et 150 000 m3 de sédiments par an », souligne Isabelle Matykowski, directrice territoriale Nord-Pas-de-Calais chez VNF. Jusqu’en 2013, le maître d’ouvrage gérait ses ‘stocks’ à terre dans des terrains de dépôts. Depuis, c’est une valse de péniches qui se charge de l’acheminement des sédiments. « Avec Alluvio, nous caractérisons en amont le volume des sédiments dont 95 % sont non-dangereux. Nous leur destinons une seconde vie dans huit secteurs d’exploitation », ajoute la responsable. Objectif aujourd’hui : passer à une gestion grandeur nature sur des filières industrielles.

30 millions de tonnes, c’est le volume de sédiments dragués par l’ensemble des ports de France, pour qui l’accessibilité des chenaux et bassins est primordial. « A ce jour, 90 % sont immergés en mer et 10 % sont traités à terre. Cette gestion pèse lourd sur le budget et nécessite des exutoires moins coûteux », croit Lucie Trulla, représentante de l’UPF**. Le gisement est donc bien là. Il faut désormais « aller plus loin ». Si Philippe Vasseur, président de la mission rev3, rappelle l’existence de dix grands chantiers structurants engagés dans l’économie circulaire et faisant appel aux sédiments, la demande est encore faible. « Ce sont les maîtres d’ouvrages qui porteront cette demande de valorisation des sédiments », insiste-t-on chez VNF, qui s’est d’ores et déjà attelé à l’élaboration d’un guide juridique et technique destiné aux donneurs d’ordres. Du côté de l’UPF, c’est la sortie du statut de déchet du sédiment qui est prioritaire. « Cette décision pourrait ouvrir des possibilités dans les filières de valorisation agricoles », explique Lucie Trulla. Et pour changer les mentalités, comptons sur l’IMT Lille-Douai. En plus de sa chaire EcoSed 4.0, témoignant de 20 ans d’expérience dans les sédiments, l’établissement a inséré les sédiments de chantiers dans son cahier des charges. « C’est ainsi qu’à Tourcoing, un parking a été le théâtre de la valorisation de 325 t de sédiments », note Alain Schmitt, son directeur.

Le génie civil, une destination finale privilégiée

En bon donneur d’exemple, VNF valorise la majorité de ses sédiments dragués dans le réaménagement de carrières. Mais c’est en 2013 qu’un projet de R&D a été mis en place validant l’accueil technique et environnemental des sédiments par la filière béton. « La démarche ‘Sédimatériaux’, aujourd’hui certifiée et validée par les scientifiques, a permis de développer 15 filières opérationnelles dont celle du béton qui s’est aussi avérée la plus probante », indique Marion Delplanque, chargée de mission sédiments chez VNF. Le gestionnaire a expérimenté en phase laboratoire l’enrochement en béton classique (peu convaincant), puis en 2015, le matelas gabions et les poutres de couronnement en béton sédimenté pour le maintien des berges. Ce n’est qu’en 2018 que VNF est parvenu à obtenir des bétons sédimentés similaires aux bétons classiques, affichant des performances de l’ordre de 30 MPa. « Le plus de ce projet est qu’il est rentable aussi bien pour VNF que pour l’industriel, observe la responsable. La prochaine étape consiste en la mise en place d’installations de transit et une incitation financière à destination des industriels ». Au Grand Port maritime de Dunkerque, 1 cm de sédiments se dépose chaque jour, et 5 millions de m3 sont ôtés de l’eau chaque année. « Nous faisons face à deux problématiques : la vase et les sables, intervient Pascal Grégoire, son responsable environnement. Une fois stockées à terre, lorsqu’elles ne sont pas simplement immergées, nous les commercialisons. Les coûts sont quatre fois plus élevés mais vite amortis. Une autre voie de valorisation consiste à stabiliser les plages et littoraux dans une logique d’économie circulaire locale ». Dans le port de Rouen, 4,5 millions de m3 de sédiments dragués tous les ans sont essentiellement marins. 350 000 m3 sont d’eau douce. La plupart sont valorisés en limoneux en ballastières (1,4 million de m3 entre 2012 et 2018) ou en sables dans des chambres de dépôt. « Une opération à Yville-sur-Seine a donné lieu à la recréation de zones humides tourbeuses sur le site d’une ancienne carrière caractérisées par des plans d’eau », retrace Sandrine Samson, cheffe du service environnement du Grand Port Maritime de Rouen.

Carrières et voiries prennent leur part

Chez EDF, les 460 000 t de sédiments retirés tous les ans sont responsables de pertes de production et sont responsables de risques d’inondation autour des ouvrages hydroélectriques. « Si la majorité est remise en aval, nous nous sommes fixés un objectif de valorisation de 90 % », pointe Emmanuel Branche, ingénieur référent environnement industriel d’EDF. 400 000 t de sédiments grossiers finissent ainsi chez les carriers. Lille Métropole étudie quant à elle la valorisation des sédiments fluviaux dans les travaux publics au travers de chantiers tests. « Nous avons élaboré un coulis autocompactant de remblais de tranchée d’assainissement intégrant 20 % de sédiments, coulé à Bondues dans le cadre de la mise en œuvre d’une canalisation en grès de diamètre 500 mm », décrit Nicolas Prud’homme, ingénieur expert génie civil à la Métropole Européenne de Lille.  Une chaussée réservoir en modules cylindriques creux de type ‘Hydrocyl’ a été réalisée à la fois sur un parking de Tourcoing qu’à la gare bus & parking de Leers avec un taux de substitution des sédiments moyen respectif de 6 % et 5 %.

La démarche « Sédimatériaux »

Impulsée par la région Hauts-de-France, avec le soutien du CD2E*** et de l’IMT Lille-Douai, la démarche « Sédimatériaux » est aujourd’hui une méthodologie de référence en France de valorisation des sédiments portuaires et fluviaux. Elle permet de produire les données utiles à l’évolution du cadre règlementaire et aide les donneurs d’ordre à innover en réalisant des ouvrages à base de sédiments de dragage. L’objectif est bien de favoriser l’émergence d’une filière industrielle et d’outils. « En phase opérationnelle en 2019,  nous espérons un nouveau cadre règlementaire pour 2023 », précise Patrice Maurel, responsable de projet à la Région Hauts-de-France. En attendant, seize projets ont été retenus dans pas moins de vingt applications. Onze sont en cours d’expérimentation et huit, en montage. Avec le projet « Sedicim », Eqiom travaille à la fabrication de nouveaux liants hydrauliques à base de sédiments, de sorte de préserver les ressources naturelles et de limiter la production de clinker. « Le ciment ayant besoin de matières premières très stables, le projet passe par des phases de caractérisation des sédiments, d’essais mécaniques et environnementaux de laboratoire, et de réalisation de planches et de pilotes industriels. Avec les sédiments, la consistance de la ‘pâte’ de ciment n’a pas la même fluidité », rappelle François Marois, secrétaire général d’Eqiom. Dans le même domaine, Ecocem a conçu un liant qui va permettre de valoriser les sédiments. « Ce matériau est à la fois résistant aux sulfates et chlorures, garantit une haute résistance mécanique, et évite 95 % de relargage des polluants », assure Samy Dreux, chargé d’affaires. Le procédé a été testé dans le cadre d’une extension portuaire de 2 500 m², où ont été recyclés sans pré-traitement 15 000 m3 de sédiments portuaires non immergeables, pompés à proximité, dans un liant riche en Ecocem. Au travers du projet « Sediasphalte », l’intérêt est d’étudier la faisabilité technico-économique de la valorisation des sédiments de dragage en tant que substitut au sable ou au filler pour la fabrication d’asphalte d’étanchéité. « Nous développons un traitement par bactérie pour éliminer les 10 % de pollution inhérents à l’insertion des sédiments dans la construction, afin d’aboutir sur la création d’asphaltes de trottoirs ou de mastics destinés aux enrochements, explique Francis Grenier, PDG de Nord Asphalte. L’objectif est de garantir l’étanchéité des ouvrages d’art ; les bureaux d’études et assureurs nécessitant des garanties décennales ».

*Voies navigables de France
**Union des ports de France
***Accélérateur de l’éco-transition

 
Crédit photo : VNF
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